Comment être pro-européen quand on aime son pays ?

Louis Drounau
5 min readJun 18, 2018

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[Originally published at foodforthought.blog.lemonde.fr on June 18, 2018]

Je suis français. J’aime mon pays. J’aime la France.

La France est un pays à l’histoire séculaire. Quand, sur le chemin de son histoire, on remonte si loin, comme un homme qui ne compte plus ses années, on est sûr de rencontrer le bon comme le mauvais. Ainsi, l’histoire de France comporte le meilleur comme le pire. Elle a ses périodes de gloire et ses heures sombres, ses moments de génie et ses instants tragiques.

Aimer son pays, c’est savoir révérer ce que nous avons fait de meilleur et se souvenir des hommes qui l’ont rendu possible. Aimer son pays, c’est aussi partager, parfois, la honte collective de nos actes. Nous n’en sommes pas directement responsables, mais ils font partie de notre héritage, au même titre que les fiertés dont nous préférons chérir la mémoire.

Mais aimer son pays est plus qu’un exercice mémoriel. Plus qu’une célébration périodique de nos hauts faits et plus que porter avec ardeur la bannière de notre identité.

Aimer son pays, c’est vouloir en assurer l’avenir. Lui garantir un destin, plus qu’une survivance de son passé. Le transmettre à ses enfants et à leurs enfants après eux. C’est vouloir préserver, dans le cœur des générations futures, l’essence de ce que nous sommes et en susciter une fierté continue.

Mais comment se maintenir dans un monde en perpétuelle évolution ? Que sont 65 millions de personnes sur une Terre de plus de 7 milliards, bientôt 8, bientôt 9 ? Comment légitimer une voix à l’échelle mondiale devant des pays de plusieurs centaines de millions de personnes, voir de plus d’un milliard ? Sinon par notre démographie, peut-être par la taille de notre économie ? Mais comment espérer conserver une position de tête devant des géants mieux dotés en population, en territoire et en ressources ? Devrions-nous appeler de nos vœux le sous-développement continu de nos voisins dans l’espoir de maintenir une intenable avance qui se résorbe inexorablement ? Et si notre population ou notre richesse ne suffisent plus, pouvons-nous réellement compter indéfiniment sur la longueur de notre histoire et sur la survivance de notre rôle passé ?

Ne nous voilons pas une réalité qui nous rattrape : peu dotée en hommes, en terres et en ressources, la France peut, certes, compter sur son inventivité et son savoir-faire mais ne rivalisera pas, sur le long terme, avec les puissances émergentes. La longueur d’avance dont nous continuons de bénéficier se raccourcit d’année en année, de jour en jour, et, sans un effort commensurable, notre voix sur la scène mondiale se feutrera, se tamisera et s’étouffera en proportion.

Quelles solutions, alors, quelles perspectives pour préserver notre identité ? Comment espérer, dans ce scenario embrumé, maintenir la flamme de nos valeurs ?

S’accrocher au statu quo, c’est garantir notre perte ; c’est glisser innocemment et subrepticement sur la pente funeste de notre effacement. Aimer son pays, c’est refuser de s’y résigner, et deux voies s’offrent à nous.

La première consiste à se recentrer sur nous-mêmes, à fermer nos frontières, à limiter tout influence étrangère dans l’espoir de maintenir une fantasmagorique pureté du pays. Maintenir notre passé, quitte à devenir une France du passé. Une France coupée du monde-même qui a permis sa grandeur. Un pays coupé du monde et dont le monde, finalement, se passera bien. Une diva préoccupée par son passé et sa personne à en oublier que le monde continue d’avancer. Somme toute, une entité isolée et recroquevillée dans un monde qui communique, qui échange et qui grandit.

La seconde consiste à comprendre que nous avons évolué maintes fois par le passé et continuerons d’évoluer à l’avenir ; que nos frontières et nos administrations ne sont pas l’essence de ce que nous sommes et que leur changement n’est pas une trahison de notre pays. Enfin, que nous ne sommes pas seuls et que l’on est fort quand on est ensemble. L’homme qui s’isole est-il plus fort ou véritablement plus solide face aux vicissitudes de la vie que celui qui vit avec ses amis, son clan ou sa tribu ?

La France est au cœur de l’Europe et partage son histoire et ses valeurs avec ses voisins. Nous coexistons, échangeons et partageons depuis des millénaires. La Navarre a longtemps fait partie de la France, comme l’Aquitaine de l’Angleterre. Leonard de Vinci s’est installé en France, comme Victor Hugo s’est réfugié en Belgique ou Monet en Angleterre puis aux Pays-Bas. Jean-Jacques Rousseau est né à Genève, Apollinaire en Italie et Marie-Curie en Pologne, tandis que les actuelles familles régnantes d’Espagne et du Luxembourg ont des origines françaises. En tant que français, par notre histoire et notre identité, nous nous inscrivons dans un espace plus large que nos frontières nationales ; nous faisons partie intégrante du peuple européen.

Non pas une Europe purement administrative, résignée à ses divisions infranchissables — somme toute une Europe du plus petit dénominateur commun — mais une Europe fière et forte. Une Europe qui se conçoit comme telle et qui sait enfin regarder en face le destin qui est le sien. Une Europe dotée d’une conscience européenne et dont les citoyens voient leur héritage commun avant les nuances nationales et les divisions passées. Des citoyens européens qui décident ensemble de leur avenir.

Aimer son pays et souhaiter sa prospérité ne peut donc pas nous conduire à vouloir tourner le dos au reste du monde, mais bien à chercher à assurer notre avenir au sein d’une Europe unie. Après tout, notre drapeau brille-t-il moins fort lorsqu’il flotte aux côtés des douze étoiles européennes ? La Marseillaise est-elle moins glorieuse quand elle est suivie de l’Hymne à la joie ?

Aimer son pays, en Europe au XXIème siècle, c’est savoir regarder au-delà de ses frontières, déjà si mouvantes par le passé, et au-delà de son administration nationale. C’est comprendre qu’ensemble nous pouvons construire le futur de nos pays, préserver qui nous sommes et dire fièrement à nos ancêtres, à nos concitoyens et nos enfants : « Regardez et soyez fiers ! Notre avenir, nous le bâtissons ensemble. »

Crédits : la photo d’en-tête est de ZeroTwoZero et provient de l’ambassade de France au Royaume-Uni.

Originally published at foodforthought.blog.lemonde.fr on June 18, 2018.

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Written by Louis Drounau

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